Il est criminel que dans le contexte actuel de réappréciation du rock classique, le travail de Nico en dehors du Velvet Underground ne bénéficie pas du même traitement. Ses deux disques faisant suite au disque banane classique, 'Chelsea Girl' (1967) et 'The Marble Index (1968) sont tous deux des chefs-d'œuvre, mais pour des raisons très différentes.
Le plus simple à recommander est « Chelsea Girl » car c'est le plus traditionnel. C'est un morceau de 45 minutes percutant, avec l'aide de John Cale et de son génie, avec des contributions significatives de Lou Reed et Jackson Browne. Bob Dylan nous offre également « I'll Keep It with Mine » initialement écrit pour « Blonde On Blonde ». Le disque déborde de puissance de star mais parvient toujours à être un portrait tranchant du personnage de Nico, vraiment insaisissable, qui n'était qu'évoqué auparavant.
Le disque transcende sa mélancolie performative et montre plutôt un désir et une tristesse plus profonds qui vont bien au-delà de l'esthétique de fille triste pour laquelle on se souvient principalement d'elle (voir « Ultraviolence » de Lana Del Rey). Ce cynisme américain que Browne allait faire de sa marque de fabrique sur « The Pretender » est ici à la pelle, mais avec une présentation si émouvante. Il suffit d'écouter « These Days » pour entendre à quel point c'est simple mais reste toujours aussi émouvant. On peut en dire autant de « Winter Song » ou de « Somewhere There's A Feather ». Chaque chanson est si avant-gardiste et complexe, mais reste suffisamment simple et familière pour la placer parmi ses contemporaines du rock classique.
On ne peut pas en dire autant de son successeur, « The Marble Index », qui est carrément effrayant. Une autre collaboration avec John Cale, mais sans aucune chaleur ni rien qui ressemble à du rock. C'est un baroque cauchemardesque. La mélancolie s'estompe dans une dépression glaciale et conflictuelle qui assaille l'auditeur avec son silence, pour être brisée par la voix de Nico avec des cordes stridentes en arrière-plan. L'anxiété palpable fait de ce disque un jalon dans la musique expérimentale et a bien plus de mordant que n'importe quel heavy metal qui émergeait à la même époque.
Rétrospectivement, ces deux disques montrent le génie monumental de Nico et à quel point elle pouvait être audacieuse. Tantôt accueillante, calme et empathique, tantôt presque déterminée à assassiner l'auditeur avec tension. Il n'y a pas de contraste aussi audacieux entre deux albums dans l'histoire de la musique. Et ils sont absolument indispensables à écouter.
« Chelsea Girl » et « The Marble Index » sont désormais disponibles dans la boutique